Rowling, c'est une démarche assez paradoxale liant rigueur et maladresse.
Pour commencer, jusqu'à une certaine scène entre le Premier Ministre et le Ministre de la Magie, dans, je crois, le tome 6, on ne quitte jamais le point de vue de Harry. À dater du prologue où il est remis entre les mains des Dursley, le lecteur lui collera aux basques, et cela ne cessera jamais. Les évènements importants seront expliqués par des conversations que Harry surprend (on notera au passage la virtuosité avec laquelle Rowling expose la vulnérabilité physique de Harry sous sa cape d'invisibilité, à portée de main de Rogue et compagnie, pour ainsi dire... vulnérabilité que l'on cherchera en vain dans les adaptations cinématographiques), le passé sera exposé par divers artifices tels que la légilimancie et la Pensine, etc...
En bref, la romancière se complique admirablement la tâche pour que nous restions accrochés à son petit héros. Plus sévères encore, on peut discerner l'unité de temps et de lieu à laquelle elle s'astreint, et la démarche systématique de roman policier, démarche dont elle fait admirablement varier les détails en en conservant l'ossature impeccable, garantissant une fluidité de l'aventure et de puissantes révélations lors du dénouement.
Cette structure permet à Rowling de nous faire entrer dans un monde foisonnant de détails, et de nous y guider avec une grande clarté. Et c'est là le paradoxe... la formule aurait impeccablement fonctionné si l'univers avait bénéficié d'une forte identité. Or tel n'est pas le cas. La plupart des éléments sont des succédanés d'inventions, issus d'un folklore médiatique, simpliste, à la portée de tous, pour le meilleur, mais surtout pour le pire. Les sorciers ne sont jamais que des prestidigitateurs mixés avec la classique figure gandalfique, maniant forcément des baguettes magiques (l'univers est si limité que le bourdon n'est même pas une option !), et vivant en harmonie avec les créatures les plus "banales" du monde, en terme de fantastique (centaures, dragons, gobelins... ouaaah, je suis émerveillé !). Si bien que les quelques impairs de Rowling par rapport à ces figures légendaires passent inaperçus (je pense notamment à sa vision fort intéressante des sirènes, créatures complètement écailleuses, d'eau douce, et assez laides de l'avis de Harry), et que la série conserve sa saveur grand public. Saveur qui laisse un arrière-goût de préfabriqué, et se révèle au final bien éloignée du rêve, de l'évasion, que le fantastique a pour vocation de promettre.
Et quand cet aspect plat et creux se marie à une multiplication des sous-intrigues jusqu'à l'étonnement, c'est la fin. L'implication émotionnelle disparaît, le lecteur se retrouve perdu entre la soupe fade que constitue le monde et la foule presque anonyme que sont les innombrables protagonistes.