une nouvelle écrite par Ghryll
extrait
Cet enterrement n’était, à plus d’un titre, qu’une parodie. Tout d’abord, l’inattention évidente des personnes présentes retirait tout le sérieux préconisé en une telle situation ; dans le fond, certaines s’étaient même retournées et avaient entamées des conversations à plusieurs, sur des thèmes divers. Ensuite, si la pluie ajoutait certes du dramatique, voir les invités tenter désespérément de retirer leurs souliers de leur socle spongieux relevait plus du ridicule ; malgré tous leurs efforts, ils finissaient irrémédiablement par se renfoncer, et l’exaspération qui se lisait sur le visage tendait au blasphème. De plus, bien que ce fait soit à première vue moins évident, le je-m’en-foutisme du prêtre aurait profondément outragé le plus laxiste des curés, ce dont l’éminent personnage se moquait, puisque aucun autre curé ne se serait risqué dehors par un tel temps. Enfin, le point le plus important dans cette parodie, le summum du comique, d’après certains, était dû à l’absence de corps dans le cercueil. La boîte de bois était vide, dénuée du moindre petit cadavre. Il n’y avait pas même de pierre pour l’alourdir, le bâti étant à lui seul déjà suffisamment lourd. Peu étaient au courant, car peu eurent apprécié la beauté du fait, mais le corps du défunt avait été retrouvé complètement déchiqueté, dispersé sur une dizaine de mètres carrés, horizontaux ou non, dans une splendide et abstraite fresque de sang, les organes en morceaux. Bref, rien ici n’était authentique, pas même les pleurs d’une femme, qui se serait bien effondrée à terre pour montrer sa peine, si sa tenue n’avait pas risqué d’en être salie. En y regardant attentivement, on pouvait même percevoir des rires hystériques derrière ses larmes : c’était la fille du défunt, qui héritait de l’immense fortune de son père.